Simin Eivazi (b. 1988, Tehran) is an Iranian-American artist living and working in Grenoble in the French Alps. Through both literal and metaphorical approaches, her practice explores all that is related to the notions of displacement, memory and homemaking influenced by personal, historical and political narratives of her gendered identity. From planting to creating sculptures, installations and performances, her work investigates the ethics and aesthetics of craft and care through intersectional and intergenerational feminism.
Eivazi obtained her BFA in Sculpture with an emphasis in performance at California College of the Arts in San Francisco and completed her MA in Art and Politics at Goldsmiths, University of London as a Jack Kent Cooke scholar. She further studied and practiced creative writing for several years under the mentorship of renowned feminist Iranian author Shahrnush Parsipur. A recipient of the 2023 Future Art Award, Eivazi has exhibited her work in the U.S., U.K. and France including at the Royal Albert Memorial Museum in Exeter.
A self-taught ceramist, Eivazi has been teaching ceramics in her studio and at the local community center in her neighbourhood since 2019. She has collaborated widely, offering ceramic workshops with institutions such as the École Supérieure d’Art et Design, Grenoble (ESAD), Université Grenoble Alpes (UGA), and École Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble (ENSAG). Additionally, she has worked on projects with migrant women and vulnerable communities, using this craft to foster connection and inclusion.
Photo by Aglaé Dumas
« Les artistes sont plutôt des vivants qui, dans l’usage, et seulement dans l’usage de leurs membres, comme du monde qui les entoure, font l’expérience de soi et se constituent comme forme de vie. »
(Giorgio Agamben, Création et anarchie)
Dans ses performances, tout autant que dans l’activité poïétique de la fabrication céramique, le corps de Simin Eivazi part de son donné politique, de son héritage : celui de la domesticité, de l’exil, de l’histoire de l’Iran et des femmes iraniennes. Une performance comme Spring redistribue le donné politique dans l’espace à travers des objets, des images et le mouvement continuel de l’artiste. Ici, le corps ne renvoie pas seulement à la « chose du monde », mais à l’organisation matérielle de l’identité du sujet. C’est ainsi que les relations de l’artiste avec son Iran natal ou les États-Unis, lieu de son premier exil, émergent pour constituer l’identité singulière de l’artiste, parfois divergente, parfois en résonance. Le corps de la performeuse est rappelé à son donné historique et politique, mobilisant ce donné comme une matière non plus figée, déterministe et passive, mais comme une matière plastique sur laquelle elle peut agir. Cette conception plastique du monde et du corps offre un certain espoir quant à la portée politique de nos actes et de nos choix, notamment ceux de l’artiste.
Les iconographies iraniennes Kadjar illuminent un passé auquel l’artiste est attachée, à la fois par son origine et par son avenir. En effet, ces images rendent possible le présent puisqu’elles font « histoire », constituant un précédent « féministe » datant du XIXᵉ siècle. Elles enracinent, en ce sens, le présent des revendications contemporaines des femmes iraniennes. Lorsque Simin Eivazi soulève un pot aux figures féminines d’inspiration Kadjar, gravées dans la terre, duquel se déversent les feuilles du grenadier de son jardin, on croit voir s’animer ces figures. À la façon des tableaux vivants de Paradjanov dans Sayat Nova, la performance réactualise le passé et les objets inertes, dans un mouvement chorégraphique puissant. En s’installant dans des gestes qui pourraient se poursuivre indéfiniment, les performances de l’artiste placent le spectateur dans une contemplation de tout le corps. On retrouve des gestes, des images et des objets qui font écho en nous à la vie collective, au quotidien et aux rituels : la libation, l’équilibre, la cassure, se vêtir, cuisiner, s’enrouler dans un drap… Ces gestes n’ont ni début ni fin, jusqu’à ce que l’accident – le napperon tombant aux pieds de l’artiste – fasse émerger la contingence de la vie dans ces gestes ritualisés. Il n’y a alors de rituel que pour créer une toile d’où surgit la vie, ses accidents, sa singularité. La contingence de la chute du napperon ressort sur l’universalité des gestes.
Les textiles, par le peau à peau, portent la marque des corps qui les ont faits et portés. Ils manifestent la dialectique de la présence et de l’absence. Dans les performances, le textile active par le toucher, et efface la distance entre les corps : le corps de l’artiste et celui des femmes restées en Iran, notamment sa propre mère. L’activité poïétique de la céramique, quant à elle, semble s’articuler avec la dimension praxique de la performance. Fabriquer, émailler, cuire sont autant de gestes qui transforment le corps et sont autant de perspectives où il se développe. Les objets ne sont pas finis à leur fabrication : ils font partie de la vie. Ainsi, dans ces pratiques et objets, et à travers le plan de grenadier ramené d’Iran, c’est la continuité des corps qui se dessine, ces corps qui bougent autour de l’arbre, s’en nourrissent, ici et là-bas. Le grenadier, dans le travail et la vie de Simin Eivazi, est la vigueur de cette solidarité corporelle de celles et ceux qui restent et de celles et ceux qui partent. Il est aussi un élément récurrent dans les maisons iraniennes. Lorsqu’il est représenté ou répandu tel une eau purificatrice, le grenadier est source d’espoir. On voit alors, à travers l’arbre mais aussi les textiles et les céramiques, se profiler la continuité des corps qui partagent des repères, des ancrages communs ou reconnaissent leurs divergences. Agir se fait toujours depuis le corps de celles et ceux qui nous ont précédés, de celles et ceux qui nous suivront, de celles.eux qui restent, de celles.eux qui partent. « Leur présence existe dans mon corps aujourd’hui », dira l’artiste. Elle offre ainsi, par une manière simple et extrêmement pure de performer, une expérience esthétique intime et puissante. On peut aisément recevoir le travail de Simin Eivazi, car il réveille quelque chose dans le plus profond de notre compréhension gestuelle du monde. Ce travail se situe au niveau de ce que Wittgenstein appelle des formes de vie. Si les formes de vie sont parfois étrangères entre l’Iran et l’Occident, elles sont aussi parfois partagées et communes. On peut donc communiquer avec « l’ailleurs » (pour le spectateur.rice) qu’est l’Iran à travers la proposition de l’artiste. Ce travail, dans sa globalité, est l’incarnation du propos d’Agamben : « [Ils] font l’expérience de soi, et se constituent comme forme de vie. » En effet, la dimension fortement personnelle et singulière de la proposition de Simin Eivazi ouvre à l’intersubjectivité, à une expérience partageable possible. On a en commun ainsi une « forme de vie » commune, qui est le fond d’une solidarité esthétique et politique.
Finalement, tout est corps dans le travail de Simin Eivazi, depuis sa propre étendue et sa matérialité jusqu’à ses représentations et ses canons, en passant par ses artefacts (céramiques, textiles, végétaux, objets divers…). Tout est rapporté à ce corps, qui est l’étalon de l’existence. On ne peut alors, en tant que spectateurs.rices, se défausser de ce dont nos corps témoignent, de ce sur quoi ils ont le pouvoir, de ce qu’ils dessinent pour l’avenir. C’est un travail qui nous enjoint à être à la hauteur de ce que nos corps exigent, en termes de solidarité, d’engagement et de compréhension.
Texte écrit par Emera Segarra, professeure de philosophie et historienne de l’art